ADF 2014 : conférence « La dent de sagesse »

Sous la responsabilité scientifique du Dr P. Campan (MCU- PH Toulouse/chirurgien oral), une conférence traitant de « La dent de sagesse » a été donnée le vendredi 28 novembre au Palais des congrès à l´occasion de l'ADF. Les objectifs de cette conférence étaient de deux ordres : hiérarchiser les pathologies engendrées par les dents de sagesse et clarifier les indications de leur avulsion. Trois responsables de séance étaient présents : W. Bacon (UFR de Strasbourg), P. Limbour (UFR de Rennes), G. Le Toux (UFR de Brest).


La troisième molaire ou « dent de sagesse » est selon Darwin une dent en voie de disparition, les agénésies uniques ou multiples rencontrées en témoignent. La pathologie qu’elle est susceptible d’occasionner au cours de son évolution est un motif fréquent de consultation. Les dents de sagesse font leur éruption vers 18-20 ans, ce sont les dernières dents à apparaître, alors que la croissance des maxillaires est sur le point de se terminer. Ce paramètre, associé à la fréquence des traitements orthodontiques qui organisent un alignement satisfaisant des arcades, et à leur axe d’éruption souvent angulé, limite l’espace disponible pour leur évolution. Ces anomalies d’évolution affectent essentiellement les dents mandibulaires, l’os mandibulaire très cortical, ne permettant pas une évolution autre que verticale. Le premier écueil à une évolution satisfaisante est le manque de place entre la seconde molaire et le bord antérieur de la branche montante. Le deuxième écueil est l’impossibilité pour la dent de sagesse de se « verticaliser », même si la place est suffisante. Ceci peut être lié d’une part, à un redressement d’axe trop important, et d’autre part, au développement vers l’arrière de l’arc mandibulaire qui distalise l’ébauche des racines. En ce qui concerne les dents de sagesse maxillaires, il n’y a pas d’obstacle osseux et une vestibuloversion est possible. L’inclusion peut s’expliquer par le rôle de la sangle musculoaponévrotique ptérygoidienne qui repousserait la dent de sagesse vers l’avant.

Quelles sont les indications d’extractions ?

Dans le cadre d’une dysharmonie dentomaxillaire, qui peut être mesurée cliniquement et radiologiquement, se pose alors la question du devenir de ces dents, et en particulier des dents de sagesse mandibulaires, à cause de la forte corticalisation osseuse, qui n’autorisera pas leur éruption. Dans bien des cas, les dents vont s’horizontaliser, dans d’autres, leur axe se distaliser, la couronne s’enclavant dans le bord antérieur de la branche montante, et la racine se collant contre la racine de la seconde molaire. L’orthodontiste, en fin de traitement, doit pourtant statuer sur le pronostic des dents de sagesse. Il n’y a pas de consensus sur l’indication prophylactique des germectomies. Il est admis que la récidive d’un encombrement antérieur ne peut pas être imputé à la pression éruptive des troisièmes molaires. Il n’en demeure pas moins que le risque chirurgical est considérablement minoré pour des germes par rapport à des dents à apex formés, dont les racines admettent alors des rapports plus intimes avec notamment le pédicule vasculo-nerveux alvéolo-mandibulaire. Il faut également prendre en compte le risque de fracture mandibulaire per ou postopératoire généré par la perte de la dent et du tissu osseux lié à son dégagement. Des complications, dues essentiellement au manque de place sur l’arcade indiquent leurs avulsions: péricoronarites, cellulites faciales, alvéolyse des septa, poches parodontales, kystes et tumeurs odontogènes de taille parfois importante, pouvant être à l’origine de fractures mandibulaires.

Les accidents d’évolution des dents de sagesse surviennent au moment de leur éruption physiologique, qui se situe donc entre 18 et 20 ans. On les distingue des accidents de « désinclusion » survenant plus tardivement, tout au long de la vie. Mais leur dénominateur commun est l’infection, qui peut entraîner des complications loco-régionales ou à distance. En règle générale, c’est la troisième molaire mandibulaire qui est la plus grande pourvoyeuse de ce type d’accidents.

Les péricoronarites sont les complications les plus fréquentes. L’épisode inaugural se traduit par une inflammation du sac péricoronaire et de la fibromuqueuse adjacente : douleur rétromolaire, muqueuse rouge et oedématiée, pression douloureuse faisant sourdre un liquide séropurulent. La péricoronarite suppurée se caractérise par des douleurs plus intenses, insomniantes, avec des otalgies, trismus plus ou moins marqué, dysphagie, gêne à la mastication, parfois un fébricule, adénopathie sous angulo mandibulaire. La pression du capuchon muqueux est extrêmement douloureuse et laisse sourdre un liquide purulent.

Des gingivostomatitesde gravité variable, allant de la forme érythémateuse aux formes ulcérées et ulcéromembraneuses, peuvent succéder ou accompagner ces péricoronarites. La stomatite odontiasique de « Chompret » est une forme à évolution rapide, ulcérée, se propageant à l’hémi-arcade, voire aux deux arcades, avec une altération de l’état général, fièvre et réaction ganglionnaire.

Les cellulites faciales sont des complications des péricoronarites, qui ont été négligées ou qui ont échappées au traitement. Il y a propagation de l’infection en sous-gingival vers les espaces celluleux. La forme clinique la plus fréquente est à évolution externe : « abcès migrateur de Chompret-l’Hirondel » ou cellulite buccinato-mandibulaire. (Fig. 1) L’infection chemine en dehors et en avant, dans le tissu celluleux compris entre la table osseuse externe et le buccinateur, réalisant une tuméfaction génienne de la partie moyenne de la face externe de la mandibule. À la pression, du pus peut sourdre au niveau de la dent de sagesse. Selon la propagation de l’infection, d’autres formes cliniques se manifestent comme une cellulite massetérine, si la collection se draine en arrière et en dehors, avec un trismus serré. Dans les cas drainage interne, une cellulite sous mylo-hyoidienne se caractérisera par une collection faisant corps avec le bord basilaire, tandis qu’une cellulite sus mylohyoidienne réalisera une collection collée à la table interne. D’un point de vue thérapeutique, ces infections nécessitent en première intention un drainage et une antibiothérapie afin de limiter leur diffusion. Le traitement étiologique consiste à extraire la dent causale.

Les complications kystiques, avec des kystes corono-dentaires ou dentigères qui peuvent atteindre des tailles importantes, se développant au niveau de la branche montante. Ces tumeurs odontogènes peuvent faire le lit d’une infection ou d’une fracture mandibulaire. (Fig. 4)

Les poches parodontales, par perte du septum mésial, et colonisation bactérienne sont des foyers infectieux chroniques, qui peuvent aller jusqu’à altérer le pronostic de la seconde molaire.

Les caries distales de la seconde molaire sont des complications tardives de l’enclavement des dents de sagesse, qui compromettent un accès à une hygiène correcte.

Des manifestations comme des troubles trophiques, musculaires, vasculaires ou neurologiques ont été évoquées, même si aucun argument scientifique ne prouve de relation de cause à effet.

La technique d’avulsion des dents de sagesse répond à un protocole opératoire bien établi, de l’incision à la suture, en respectant les grands principes chirurgicaux : conditions d’asepsie et d’antisepsie pour réduire les risques de contamination du site opératoire., chirurgie la plus atraumatique possible , (irrigation et fraisage séquentiel), respect des éléments anatomiques environnants (dents adjacentes, nerf lingual, nerf alvéolaire inférieur…), prise en compte des risques opératoires (fuite de la dent dans le sinus maxillaire, la fosse infratemporale, la joue, le plancher buccal), tracé d’incision et suture facilitant la cicatrisation. En fonction de la difficulté, du rapport avec les zones à risques, de la compliance du patient, une anesthésie loco-régionale ou générale est indiquée. (Figs. 5, 6, 7, 8, 9, 10) Dans le cas de dent de sagesse ectopique, (Figs. 2 et 3) la situation anatomique nécessite le plus souvent le recours à l’anesthésie générale et relève de la compétence du chirurgien oral.

Note de la rédaction : cet article est paru dans le Today du 28 novembre de l´ADF 2014