Les amalgames dentaires sont-ils toxiques pour les enfants? Commentaire sur 2 essais cliniques aléatoires récemment publiés.

Lorsque j’ai obtenu mon diplôme en médecine dentaire en 1987, l’amalgame dentaire était essentiellement le seul matériau disponible pour la restauration directe des dents postérieures cariées. L’adhésion dentinaire en était à la première génération des progrès technologiques en dentisterie restauratrice, et ce type de restauration aux dents postérieures était effectué avec prudence par certains dentistes, mais la plupart l’évitaient.
On se souciait alors déjà depuis longtemps de la biocompatibilité de l’amalgame dentaire qui comprend 50 % de mercure au poids. Pourtant, à la faculté de médecine dentaire, on m’a enseigné que l’amalgame était un matériau de restauration sûr et que les résines composites ne convenaient pas aux surfaces occlusales des dents postérieures. On ne m’a jamais expliqué scientifiquement pourquoi.
Peu après avoir obtenu mon diplôme, j’ai décidé de dépouiller la documentation afin d’étudier la controverse sur l’amalgame dentaire et d’en déterminer la sûreté dans l’exercice de la dentisterie.
Dans un compte rendu sur la controverse liée au mercure et à la dentisterie1, j’ai résumé les données alors actuelles relatives à la biocompatibilité de l’amalgame dentaire. Ces données comprenaient les résultats d’études faites sur des animaux, de rapports empiriques, d’études transversales, de rapports sur des séries de cas et d’analyses rétrospectives de cohortes de piètre qualité. J’en ai conclu que, bien que les niveaux de mercure dans le sang, l’urine et l’air expiré étaient positivement liés au nombre de restaurations à l’amalgame dans la bouche, ces niveaux se situaient nettement sous le seuil considéré comme étant dangereux. En outre, tenant compte de son succès historique dans l’exercice clinique pour la prise en charge de la maladie la plus répandue (la carie dentaire) dans la société occidentale, il n’y avait aucune donnée clinique ou épidémiologique suggérant que l’amalgame dentaire constituait un risque pour la santé publique.
En 1990, 60 Minutes, le magazine d’information télévisé très bien coté de CBS, a présenté un reportage sur la sûreté de l’amalgame dentaire2 laissant entendre que les membres de la profession dentaire empoisonnaient consciemment leurs patients avec de l’amalgame tout simplement parce que la plupart n’avaient pas les compétences cliniques pour utiliser les autres matériaux plus récents, plus sûrs et meilleurs. Pareille insinuation démontrait simplement l’ignorance ou la subjectivité de l’information, surtout si l’on songe que, contrairement à une restauration postérieure à la résine composite, une restauration à l’amalgame exige une préparation de cavité plus complexe sur le plan biomécanique.

Encadré 1 :  Sommaire de l’étude de Bellinger et coll.7 ( cliquer sur l' encadre pour le voir en total )

Au milieu des années 1990, Santé Canada a chargé le Dr Mark Richardson d’étudier le risque biologique lié aux amalgames dentaires. Celui-ci présenta une revue sans méthodologie précise le 18 août 19953 et conclut que : «Les données publiées portant sur les risques possibles des amalgames dentaires pour la santé ne permettent pas de confirmer ni d’infirmer les divers effets qu’on leur attribue.» Selon lui, cependant, s’il existait un risque, les patients les plus vulnérables à une exposition chronique à une faible dose de mercure étaient les enfants, les femmes enceintes et les patients ayant une maladie des reins. Aussi recommandait-il que ces groupes de patients s’abstiennent à l’avenir de se faire restaurer des lésions cariées avec de l’amalgame. Bien que cette hypothèse soit intéressante, cette recommandation a été vivement critiquée par la communauté scientifique, y compris l’Association dentaire canadienne, parce qu’il n’y avait alors aucune preuve scientifique suggérant l’existence d’un tel risque4.
En mars 1995, Quintessence International a publié un éditorial qui avançait que les amalgames n’avaient pas leur place dans la restauration des dents primaires quand de meilleures solutions sont disponibles5. Dans une lettre à la rédaction, j’ai contesté cette conclusion, évoquant que les autres matériaux alors disponibles n’étaient tout simplement pas aussi rentables que l’amalgame pour restaurer des dents conçues pour préserver l’intégrité de la bouche jusqu’à l’âge de 10 ans6.
Presque 2 siècles après que les dentistes ont commencé à utiliser l’amalgame en Amérique du Nord et 2 décennies après la publication de mon compte rendu, la controverse se poursuit, alimentée par des allégations isolées et des hypothèses théoriques publiées sur Internet. Il n’y avait aucune donnée solide pour confirmer ou réfuter ces allégations jusqu’à ce que Bellinger et coll.7 et DeRouen et coll.8 publient leurs résultats dans une récente édition du Journal of the American Medical Association [encadrés 1 et 2]. Ces études sont particulièrement importantes puisqu’il s’agit d’essais cliniques aléatoires, comparant le risque neurocomportemental, neurofonctionnel, intellectuel et rénal pour les enfants suivis pendant 5 à 7 années après la pose d’obturations avec de l’amalgame ou une résine composite.


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Dans le domaine des soins de santé fondés sur les faits, des essais cliniques aléatoires bien conçus représentent le plus haut degré de vérité probante. Ces 2 études ont fait appel à des méthodes claires utilisant des indicateurs de résultats bien acceptés afin d’en arriver à des conclusions similaires, à savoir qu’il n’y a aucune différence statistique dans les activités physiologiques, neurologiques et rénales des enfants de 5 à 7 ans après la restauration d’une lésion carieuse avec de l’amalgame ou un matériau en résine composite.
Bien qu’il soit permis de penser qu’une période de 7 ans ne représente pas une exposition chronique au mercure à long terme, elle fournit une preuve valable que les amalgames, à court et à moyen termes, ne posent pas pour les enfants un risque plus grand que les résines composites. Malheureusement, aucune de ces études ne comprenait un groupe témoin non traité. Pareil groupe aurait aidé à répondre à la question de savoir si les enfants exposés à l’amalgame ou à la résine composite sont exposés à des risques plus grands pour la santé que les enfants qui n’ont pas de caries.
Ces études ne feront pas taire définitivement les détracteurs de l’amalgame parce qu’on a encore besoin de données sur les expositions chroniques à long terme jusqu’à l’âge adulte avant de pouvoir être absolument certain que l’amalgame est sûr.
De plus, dans un éditorial commentant les 2 études, Needleman9 fait observer : «Bien que celles-ci soient assez puissamment étayées pour écarter tout effet neurocognitif cliniquement important, le pouvoir statistique peut être insuffisant [par exemple, un échantillon trop petit] pour détecter des effets plus faibles.» Il soutient que la prévalence de la carie chez les enfants et par conséquent l’utilisation possible de l’amalgame comme matériau de choix peuvent avoir un effet considérable si une erreur de type II se produit. Bien qu’elles constituent un point théoriquement valable pouvant nécessiter des recherches approfondies, ces 2 études sont les premières du genre à présenter des données très sûres contre le risque neurologique et psychologique de l’amalgame pour les enfants.
Ainsi, ces études plaident en faveur de l’utilisation de l’amalgame comme matériau de choix pour restaurer les dents primaires. La carie des dents primaires continue d’être un problème de santé publique et les pauvres sont ceux qui souffrent le plus de cette maladie10. Parce que l’amalgame dentaire est rentable et maintenant que la science démontre que ce matériau ne pose pas plus de risque pour la santé des enfants que les autres matériaux, l’argument que j’avançais il y a presque une décennie à la rédaction de Quintessence International demeure valable. Néanmoins, la controverse devrait se poursuivre. a

L’AUTEURL

Dr Balevi exerce dans un cabinet privé à Vancouver (Colombie-Britannique). Il est également attaché à la Faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique. Écrire au : Dr Ben Balevi, 306–805 West Broadway, Vancouver, BC
V5Z 1K1.Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.
Références
1. Balevi B. Mercury and dentistry. The controversy continues. Oral Health 1988; 78(6):21-4.2. Safer M. Is there poison in your mouth [émission télévisée]. 60 Minutes, CBS television. Le 16 décembre 1990.3. Richardson MG. Évaluation de l’exposition au mercure et des risques dus aux amalgames dentaires. Ottawa : Santé Canada; 18 août 1995. Disponible à l’URL : http://dsp-psd.communication.gc.ca/Collection/H46-1-36-1995F.pdf (consulté en novembre 2006).4. FAQ – amalgame dentaire. [Site Web de l’Association dentaire canadienne], 2005. Disponible à l’adresse URL : http://www.cda-adc.ca/fr/oral_health/faqs_resources/faqs/dental_amalgam_faqs.asp (consulté en novembre 2006).5. Simonsen RJ. Move over amalgam — at last. Quintessence Int 1995; 26(3):157.6. Balevi B. [Lettre à la rédation]. Quintessence Int 1995; 26(7):444.7. Bellinger DC, Trachtenberg F, Barregard L, Tavares M, Cernichiari E, Daniel D, and other. Neuropsychological and renal effects of dental amalgam in children: a randomized clinical trial. JAMA 2006; 295(15):1775–83.8. DeRouen TA, Martin MD, Leroux BG, Townes BD, Woods JS, Leitao J, and others. Neurobehavioral effects of dental amalgam in children: a randomized clinical trial. JAMA 2006; 295(15):1784–92.9. Needleman HL. Mercury in dental amalgam — a neurotoxic risk? JAMA 2006; 295(15):1835–6.10. Locker D, Matear D. Oral disorders, systematic health, well-being and quality of life: a summary of recent research evidence. [Site Web de santé publique en Ontario], 2001. Disponible à l’adresse URL : www.phb.ca/Documents/Dental/oraldisorders.pdf (consulté en novembre 2006).